Game over

Je ne sais pas quand ils sont entrés dans ma vie. Oh, il y a longtemps certainement et il m’aura fallu du temps pour me rendre compte qu’ils étaient là. Au début, ils se sont faits discrets, presque amicaux. Ils m’ont amené à me poser des questions, à ne rien tenir pour acquis. Ils m’apportaient des réponses aux questions que je me posais, ils m’expliquaient pourquoi les gens réagissaient de telle ou telle manière envers moi. Je les aimais bien mes petits démons. Mais ces petits démons ont grandi, sont devenu une part intégrante de moi. Ils ont tout ravagé sur leur passage. Ils m’ont amené à croire que je ne valais rien, que j’étais inintéressant et ils m’ont appris à jouer un rôle pour le cacher aux yeux de tous. Ils m’ont poussé à faire des choses stupides pour obtenir un peu d’attention que je ne pensais pas mériter. J’ai chassé de ma vie, autant que je pouvais, les personnes qui auraient pu tenir à moi, ils m’avaient convaincu que c’était le mieux à faire, que je ne supporterais pas qu’elles me fuient quand elles se rendraient compte de qui j’étais réellement ; c’était logique, pourquoi prendre de tels risques quand l’issue est inévitable. Ils m’ont expliqué que si je voulais survivre, je devais me bâtir une forteresse imprenable où rien ne pourrait m’atteindre. J’ai survécu, rien ne m’a atteint. Ni le mal que je craignais, ni le bien qui aurait pu me libérer. Ils m’ont persuadé qu’il fallait que je m’y fasse, que je n’étais pas fait pour être heureux. J’ai foiré pendant des années sans vouloir appeler à l’aide .Cela aurait été égoïste les autres étaient heureux et je n’avais pas le droit de plomber leur ambiance, les autres avaient leurs problèmes et n’avaient pas besoin que je vienne avec les miens. Et puis, j’avais tout pour être heureux, si je ne l’étais pas, cela ne pouvait être que de ma faute. Ils sont en partie responsables de ce qui je suis ; je ne les en remercie pas, ils m’ont pourri la vie pendant assez longtemps et j’en paie encore parfois les conséquences. Sans eux, j’aurais eu d’autres occasions de devenir aussi bien et aussi fort que ce que je ne suis, ils ne m’ont pas construit. Je le leur en veux pas non plus, le passé est derrière moi, j’ai mieux à faire que de le ressasser. Ils ont été pris finalement à leur propre piège. Ils sont si bien parvenus à me convaincre qu’ils étaient une partie intégrante de moi que je me suis mis à douter d’eux, autant que de moi. Si j’avais moins de valeur que quiconque, eux également puisqu’ils étaient moi. Comment avais-je pu les écouter si longtemps ? Peut-être qu’alors je pouvais croire les gens qui pensaient du bien de moi, peut-être même étais-je le seul à être trompé par les rôles que je jouais ? Ma vie n’a pas fondamentalement changé ce jour-là, cela n’a pas été la grande révélation qui métamorphose tout en une fraction de seconde mais le doute s’est installé, un premier doute positif depuis des années. Je ne suis pas naïf : si quelques démons sont maintenant devenu des fantômes, la plupart sont là, tapis dans les recoins ; ils ne me connaissent que trop bien et attendent mes faiblesses pour revenir à la charge. Leur discours sonne juste, malgré tout et il serait si facile de succomber à nouveau à leurs chants. Nos luttes sont courtes et intenses, souvent je gagne, parfois je me fais mettre à terre mais en définitive, ils ne gagneront plus. Quoiqu’ils aient voulu me faire croire, ces démons ne sont pas une partie de moi, pas plus qu’une sangsue n’est une partie de la jambe à laquelle elle s’attache ; ils ne sont rien d’autres que des parasites qui se nourrissent de l’énergie que je leur accorde. Quand je me sens étranger parmi les autres, ce sont eux qui sont à l’œuvre, quand je veux éloigner ceux qui m’apprécient, ce sont eux qui sont à l’œuvre, quand je me surprends à vouloir être ce que je pense que les autres attendent de moi, ce sont eux qui sont à l’œuvre. Allez vous faire foutre, vous ne m’aurez plus ! Je connais vos méthodes maintenant et je sais qu’en cas de besoin, il me suffira de claquer des doigts pour trouver quelqu’un qui m’aidera à vous botter le cul. Arrêtez la partie ici, ça ne sert plus à rien, vous ne pouvez plus gagner !