Un rayon de soleil dans la grisaille

Il est de ces rencontres fortuites qu'on n'oublie pas...

Il est environ 12h50.

Je trépigne dans la file à la pharmacie.

Il y a du monde.

Arrive enfin mon tour.  Je suis servie, et quitte l'officine d'un pas hâtif.

Comme souvent, le temps presse, dans un peu plus d'une heure, du monde arrive à la maison, et je suis à la bourre dans mon planning.

Sur le parking, un inconnu me précède, mais, absorbée par mes pensées, je ne le vois pas.

Soudain, il se retourne, sourit, et me dit avec gaité : "Avec des bruits de pas comme ceux-là, je me doutais bien qu'il ne devait pas s'agir d'un pataud comme moi.  Moi, j'ai arrêté les hauts talons il y a bien longtemps."

Je ris.  Nous échangeons quelques banalités, avant qu'il n'enchaîne :

"Vous savez, je vous observais dans la file.  Vous me semblez être une personne constamment préoccupée, absorbée par tout un tas de pensées.  De la méfiance envers autrui se dégage de vous mais, pour autant, vous devez être une personne généreuse, qui donne inconditionnellement quand vous aimez, à un point tel parfois que cela vous prend aux tripes.  Vos amis doivent être des personnes avec beaucoup de valeurs"."

Intriguée, je lui réponds en souriant : "Ah oui, vous êtes parvenu à faire cette analyse simplement en m'observant pendant quelques minutes ?".

"Ooh dit-il, c'est l'une de mes faiblesses.  Un automatisme.  Partout, où que je sois, je lis dans les gens.  J'ai l'impression d'être en quelque sorte capable d'entendre leurs pensées.  Vous semblez vous être forgée une énorme carapace.  Elle vous protège.  Vous regardez le monde avec désillusion sans parfois y trouver votre place, à tel point que vous avez peut-être déjà songé, juste songé, à disparaître.  Mais... l'étoile dans vos yeux brillera à nouveau, et de bonnes choses arriveront bientôt pour vous, je le sens.".

Le temps continue de filer, mais je m'en fiche, j'ai relayé ça au second plan.

Il me parle de son parcours de vie, de sa femme, décédée, de ses huit enfants, des miens que, par choix, je n'aurai jamais.  Nous rions.

Je prends plaisir à lui prêter une oreille attentive et à l'écouter, autant qu'il semble prendre plaisir à parler.  Juste parler.

"En tous cas, je vous trouve très attachante et pétillante, on ne doit pas s'ennuyer avec vous.".

Gênée par autant de compliments, je ne trouve rien de plus original à répondre que "Eh bien merci.".

Puis, rattrapée par la réalité, je lui dis qu'il va me falloir écourter notre discussion.

"Ça ne doit pas être évident de courir comme vous le faites avec des hauts talons.  Portez-vous parfois du plat ? Vous seriez tout aussi solaire avec du plat.".

Bien sûr, il me vient vite la question : Pure sincérité ou manipulation ?

Mais à aucun moment, je ne me sens redevable d'une contrepartie, sous quelque forme que ce soit.

Alors, pour une fois, je décide de faire tomber un peu ma carapace, et d'écouter mon cœur.

Et mon cœur me dit que, oui, il existe encore des personnes sensibles, attentives aux autres, qui voient au delà de la manucure irréprochable, des artifices.

Dans un ricanement embarrassé, je le salue et prends congé de lui.

Je grimpe dans la voiture, m'autorise encore quelques brèves secondes de réflexion, avant de baisser la vitre de la fenêtre, et de l'inviter d'un geste de la main à regarder le ciel : "Merci encore pour cette agréable discussion, Monsieur, vous avez été un rayon de soleil dans cette grisaille !".